LE DEBUT DE LA FIN – 6 juin 2005.
C'était une journée d'été.
Les filaments dorés au bout de tes doigts qui donnaient naissance à un oiseau baigné par le soleil, presque invisible, son chant dans le vent, pour finalement plonger droit dans les cheveux de Cassian qui s'effondre en riant dans l'herbe.
Liaison de gamins, les trop riches, que les parents regardaient de loin avec des sourires fiers, entente cordiale mais rivale, regarde mon fils, ses pouvoirs sont déjà acquis, regarde le mien comme il est fort, comme il est grand, comme ils seront beaux, comme ils seront rois. Regardez nos fils, l'élite de la nation, la future tête pensante, les princes de demain.
Toi, tu t'en foutais, au fond, tu savais que tes parents portaient beaucoup d'espoir sur toi, Théo et Henri, mais tu voulais seulement être heureux, pour une fois, comme tous les enfants. Et puis il y a eu les cheveux trop longs, trop négligés, la silhouette de roturier qui te faisait horreur avec ces yeux si sombres, comme ceux de Cassian, mais ceux de Cassian étaient beaux, les siens étaient sales. Le manant, le rejeté. Tu souffles comme une vipère de jouer plus loin, que tu vas les salir.
Mais Cassian non, Cassian s'interpose, Cassian dit que tu es méchant et qu'il ne jouera plus avec toi, te laisse pantois, l'oiseau sur la branche qui disparaît en une explosion, qui les fait sursauter tous les deux. Et devant toi, par réflexe, ils se donnent la main alors que ton cœur explose presque autant que l'oiseau chimère.
Et ils partent.
Tu es seul.
Les gosses c'est idiot, surtout lui, le plus idiot de tous. Il t'avait abandonné.

C'était une journée d'été
la journée où il t'a laissé
Le cœur calciné et la vengeance criant au creux de ta gorge.

L'OMBRE DE LA MALÉDICTION – 2 mai 2010.
Il n'a fallu que six mois.
Deux fois habillé en noir, les pleurs, les mains rassurantes dans tes cheveux.
« Toutes mes condoléances.
Perdre un enfant si jeune, quelle tragédie. »
Les images qui tournent dans ta tête, les images de mort, de la dernière expression sur ton visage.
Henri, Théo
Théo, Henri
Le plus grand, le fort, l'espoir, l'aîné qui allait reprendre un jour le comté, le sourire arraché même aux vieilles dames les plus aigries.
Le plus petit, le plus fragile, sans cesse à tousser, celui qui s'accrochait à tes chevilles quand il faisait froid dans ses poumons.
Et toi au milieu, toi dans l'ombre, le prénom de fille qui se taisait plus qu'il ne parlait, toujours poli, toujours bien peigné.
Un sacré portrait de famille, n'est ce pas ?
Et pourtant.
Ton petit Henri avait été emporté il y a quelques mois de ça. Une pneumonie aggravée, disaient-ils. Les médicomages ne comprenaient pas ce qu'il avait, ne pouvaient rien faire. Tes parents avaient tout essayé, même les traitements moldus, même la magie noire, qui traînait parmi tes ancêtres depuis des générations. Et finalement, la petite main d'Henri dans la tienne s'est un jour arrêtée de trembler. Ses yeux se sont fermés pour ne plus se rouvrir. Un baiser sur son front qui commençait à tiédir.
« Il est parti. »
Tu es le seul à avoir pleuré, on t'a regardé comme si tu étais faible, comme si montrer ses émotions était une tare. Famille sans cœur, famille sans âme, l'aîné aussi vide que les parents.
Et un jour, tout a éclaté.
La plus haute tour de votre manoir, les hiboux dormaient. Et Théo t'a pris la main pour t'emmener tout en haut. Un silence.
C'est comme si les rares sourires qu'ils t'adressait étaient morts avec Henri. Comme s'il y avait de la haine dans les yeux de ton frère aîné chaque fois qu'il te regardait. Comme si tu avais fait quelque chose de mal, comme si tu n'étais pas suffisant. Tes parents avaient beau dire qu'ils vous traitaient de la même façon, il était le favori et tu le savais. Il était celui qui allait redonner une gloire aux des Verrières. Mais il avait l'âme aussi noire que les corbeaux logeant là, sous la charpente.
Un murmure aussi pernicieux qu'un sifflement de couleuvre.
« C'est ta faute si Henri est mort. »
Tes yeux écarquillés, et sa voix qui continue. Qui te souffle des choses horribles, te traite de faible, te dit que tu es l'erreur de ta lignée et que les parents n'auraient pas du en refaire un autre. Faible. Faible. Ta faute. Ta faute.
Les mots qui tournent dans la tête, sa voix de plus en plus cruelle.
Alors, tu as hurlé, tu l'as cogné, tu l'as poussé.
Un cri, bref, un bruit sourd et un craquement. Ses yeux sans vie fixant le ciel depuis le haut de la tour, ses bras et ses jambes dans un angle étrange, et le liquide vermillon tâchant l'herbe à peine tondue.
Tu as tué ton propre frère.
Et le pire, c'est que ta première pensée a été « Alors, toujours aussi faible ? »

LE LÂCHER DES FAUVES – 25 septembre 2012
« Il faut que tu apprennes à te battre, Camille. Dans ce monde soit on t'écrase, soit tu écrases les autres. »
Fils unique, fils prodigue délégué de ta génération. Les espoirs reposaient sur toi et ceux de tes parents n'avaient pas de limite, la pression constante sur tes épaules. La mâchoire et les poings serrés. Tu as étudié depuis ton plus jeune âge, et quand tu es entré à Beauxbâtons, c'était pour réussir.
Le menton haut, droit et fier.
On t'a appris à être fourbe, à contourner les règles et à réfléchir.
On t'a aussi appris que les sorts pouvaient être tes meilleurs alliés.
Et tu es plutôt doué.
Tu as fait ton entrée dans le club de duel le sourire aux lèvres. Celui en face de toi s'appelait Joras, une montagne brune et animale. L'épée dans une main et la baguette dans l'autre. La sueur qui perle dans ta nuque.
Les dés sont jetés.
Tu sens les regards sur toi qui te jugent, tu aimeraient qu'ils t'envient. Alors avec le peu que tu connais, tu choisis l'offensive. Le lion dans ta tête qui te hurle attaque, attaque, ne lui laisse pas le choix. Sans lui laisser le temps de réagir, des coups à gauche, à droite, des filaments verts, des explosions rouges. Les membres raidis de la montagne de muscles, qui tombent de l'estrade avec un vacarme de tous les diables.
« Eeeet c'est un record ! »
Silence.
Les yeux braqués sur toi. Le nouveau qui met à terre le champion en titre en quelques secondes à peine ? On ne te connaît pas.
Ou pas encore.
Et la clameur monte.
Les applaudissements grondent.
Tu pourrais presque t'y habituer.

LA DESTRUCTION PERMANENTE – 10 décembre 2021
D'aussi loin que tu te souviennes, tu l'as toujours détesté autant que tu l'as voulu avec toi.
Contre toi.
Tu te souviens de son regard la première fois que tu as rejoint l'obédience, le trouble, le doute. Mais il avait changé. Cassian n'était plus l'enfant d'autrefois et le besoin de pouvoir et de grandeur palpitait aussi dans ses veines. Tu t'es dit qu'au lieu de te venger, tu pourrais peut être t'en faire un allié, ou t'en servir comme un pion. Et au début, tout s'avérait plus facile que prévu. Les hanches contre les tiennes, tu as découvert qu'il cédait au même vice, qu'il possédait le même genre de passion secrètes que les tiennes, celles que tu taisais, celles que tu assouvissais dans l'ombre. Des baisers, les coups de bassin et les cris. Il ne pouvait qu'être à toi, non ?
Non.
Son cœur n'était pas à toi, son cœur était pris par un autre, et tu savais qui, tu savais quel genre e vermine avait pu s'enliser dans son cœur comme le lierre rampant autour d'un mur trop vieux.
M a x e n c e.
Ce jour là, tu l'as quitté sans un mot, sans aucune émotion lisible sur le visage, les veines en feu et le cœur tambourinant.
Il allait payer.
Et plus cher encore que ce que tu ne pensais.
Et te voilà maintenant, Camille
Le regard traînant au détour d'un couloir blanc, se posant sur Cassian, une enveloppe dans la main. La tienne, évidement. Tu avais au fil des années acquis un don et provoqué ton destin. Le chantage, les belles paroles, les belles promesses et toujours plus de mensonges pour parvenir à tes fins. On t'a toujours appris à faire comme ça. Et l'appareil photo dégainé au bon moment avait fait l'affaire. Tu t'es même retenu de grogner lorsque ses lèvres ont embrassé celles du roturier tant détesté. Quelques clichés, dans une enveloppe postée.
Les couleurs s'en vont des joues de Cassian, puis de son visage tout entier. Il regarde à droite puis à gauche sans te voir, puis court à son dortoir. Et toi, tu te frotterais presque les mains mais tu te contentes d'un air fier de toi.
Après tout, il l'avait bien cherché. Préférer un roturier à toi ?
Désir meurtrier
envies meurtrières
tu aimerais glisser tes mains le long de sa gorge, quand vous faites l'amour
sentir son souffle s'éteindre sur vos lèvres mêlées, étreintes
lui faire sentir qu'il n'est rien, qu'il n'est que poussière
mais tu te contentes de vos fautes nocturnes à peine avouées, tendres ou sauvages, cachées aux yeux du monde, probablement même aux yeux du roturier qui fait battre son cœur, ce cœur qui bientôt s'arrêtera ou battra uniquement pour toi.
La soif de vengeance et de pouvoir t'aveugle, Camille, pauvre fou, elles s'assombrissent les pupilles, elles rendent tout flou.
Et bientôt encore, tu feras mieux.
Tu marches sur le sol immaculé en songeant à la suite de son plan de génie. Faire croire à ton amant que c'est son impur tant adoré qui est à l'origine de cet affront. Peut être même qu'ils ne se reverront plus jamais.
Et ainsi tu pourras récupérer Cassian. Ensemble, vous gravirez un chemin vers la lumière.
Tu atteindras les sommets, avec ou sans lui.


LE MONSTRE TAPI – 2 mai 2022.
Camille, sang.
Camille
froid.
Tu détruis tout ce que tu touches.

La mort entoure cette famille comme un halo de lumière, ils brillent dans le deuil comme les étoiles au creux du ciel. Les deux tombes crissent sous tes pieds, tu n'apportes jamais de fleurs, ils n'auraient pas aimé. La main de ton père pèse sur ton épaule et le soupir de ta mère se disperse dans le vent. Ils ne montrent aucune émotion, ce n'est pas leur genre, famille aimée mais pas famille aimante.
Et maintenant, tu es plus seul que jamais.
Tu te tournes vers tes parents, les épaules larges et le menton haut. Gardien du seul espoir et de leur gloire pas tout à fait effacée. Je vais vous rendre fiers, tu penses, je vous le promets.
Et tes pas s'engouffrent dans l'éternité. Tu ne peux pas rester près d'eux et des tombes, plus maintenant que ton sang s'est glacé pour laisser place à des milliers de couteaux.
Tu ne seras plus jamais faible.
Et les murmures des honnêtes gens te reviennent,
Le mauvais sort qui semble planer persiste
on chuchote dans votre dos, on te prédit un sort funeste.
Camille ne passera pas les vingt ans.
Vingt ans passent les poings serrés.
Camille aura un accident avant ses vingt-trois ans.
Vingt-trois ans fêtés et toujours rien, la faucheuse semble avoir fait son chemin.
Camille fête ses vingt-cinq ans dans un bureau chromé qui sent le luxe et le faux, une chambre impersonnelle bâtie sur la poursuite d'une réussite incertaine, sur des rêves de gloires chimériques, les papiers entassés autour de lui et ses lunettes descendant sur son nez comme un rat de bibliothèque
pas de tonnerre, pas d'éclair foudroyant la poitrine.
Peut être qu'il est destiné aux plus hauts horizons et que la mort ne prend que les faibles.
Ce que les gens ne savent pas, ce qu'ils ne sauront jamais, c'est que la malédiction n'existe pas.
Le seul à être maudit, c'est toi.
Parce que
Tu détruis tout ce que tu touches.
Et les yeux qui brillent d'une soif de pouvoir sans fin brillent chaque jour un peu plus fort.
Tu ranges les papiers.
Tu ne souffleras pas tes bougies, c'est une perte de temps.
Ce soir, on déplore la perte du fils acclamé et on implore le destin pour que le second fils nous fasse briller.